Yann Le Floch
Digital Money Banker
L’équipe Wagmi Trends continue l’exploration des “builders” du Web 3.
Au programme de cette semaine, nous avons la joie de te présenter un expert de la cryptosphère, Yann Le Foch.
Sous les prismes financier et géopolitique, Yann nous apporte son éclairage sur les enjeux liés à la cryptosphère tout en remettant en perspective la gouvernance, la politique, la finance traditionnelle, la société.
C’est un échange passionnant que l’on te retranscrit ici qui vise à te partager, de façon accessible, la révolution numérique qui se joue sur fond de transformations : sociétale, monétaire, économique, sociale et surtout mondiale.
Bonne lecture de ce Wagmi Doer engagé !
Bonjour Yann, pourrais-tu s’il te plaît présenter ?
J’ai travaillé en salle des marchés, pour être plus spécifique, en “strategic equity,” et ai également fait du conseil en stratégie chez BNP Paribas.
De 2014 à 2018, j’ai terminé ma carrière dans le privé, dans l’entité Blockchain Lab chez BNP. Cette entité blockchain et cryptos a été créée par Philippe Denis. L’objectif ? Travailler sur des sujets blockchain avec la volonté de développer des systèmes cryptos, d’évangéliser ces nouveaux usages et de faire connaître les projets émergents.
Rappelons qu’en 2014, on est vraiment très « early stage » sur ce sujet, même sur le plan international.
En 2018, et après quatre années passionnantes à me pencher sur la blockchain et les cryptos, je décide de me lancer en tant qu’entrepreneur. Je me fixe comme mission de développer les ponts entre la cryptopsphère, les technologies associées, et le monde institutionnel tout en sachant que tout est inter-connecté : pour évoluer, et pour créer un système économique financier plus équilibré.
Qu’est ce qui t’a poussé à t’intéresser au Web 3 ? Et pourquoi ?
Mon intérêt a vraiment explosé dans les années 2000, j’étais alors chez BNP.
On avait la conviction qu’on pouvait proposer d’autres types de monnaies dans un cadre cohérent avec une monnaie traçable, et des actions plus “green”.
A l’origine, ce qui m’a happé, c’est justement ce questionnement autour de la monnaie.
En 2012, je contacte Jacques Attali et lui rédige une note sur les monnaies intelligentes. Il me répond alors : « vos sujets sont suffisamment fous pour être approfondis. » Je continue d’approfondir le sujet.
Je me suis penché encore plus intensément sur les travaux de Satashi Nakamoto, et également sur l’idéologie de fond de la cryptosphère qui aspirait à créer un système alternatif au système financier traditionnel alors en pleine crise.
D’ailleurs, si on lit attentivement les premiers éléments publiés, Satoshi Nakamoto parlait déjà de la professionnalisation des mineurs, des spéculateurs (…).
Tu es Digital Money Banker ; peux-tu stp nous expliquer plus concrètement ton rôle ?
Je travaille au sein de réseaux d’intelligence économique qui peuvent me demander des notes ou des analyses sur tous les continents.
Je me concentre et communique sur les thématiques de monnaies digitales avec une approche plus humaniste notamment en ce qui concerne les banques centrales ou grandes institutions.
Je suis progressivement et modestement devenu un peu activiste.
Je reste néanmoins freelance, et surtout indépendant dans ma parole, dans ma pensée ce qui explique aussi que je ne sois pas entré de façon minérale dans un groupe établi.
Je tiens à ma liberté de parole.
Quels types de travaux sur les monnaies digitales as-tu réalisés ?
J’ai commencé en 2006 en travaillant sur un site d’échange (modèle SAAS – Software as a service) avec une monnaie digitale puis est arrivée la crise des « subprimes » de 2007 et la crise financière de 2009.
Le sujet des monnaies intelligentes a dérangé car elles bouleversent profondément la vision sociétale telle qu’elle existe actuellement.
Tu es par ailleurs délégué international aux Droits de l’Homme aux Nations Unies, ça veut dire quoi ?
Je fais partie d’une organisation qui dépend de l’ONU. Concrètement, ça veut dire qu’on peut être amené à défendre les droits humains.
Selon toi, en quoi le Bitcoin, et plus largement, les cryptomonnaies constituent-ils un enjeu géopolitique majeur ?
La monnaie, c’est le nerf de la guerre.
Dans l’Histoire, la monnaie a toujours occupé une place centrale. Les peuples ont colonisé d’autres peuples pour avoir l’accès à l’or. Christophe Colomb a découvert l’Amérique pour s’emparer de son or.
Aujourd’hui, chaque citoyen va à l’école pour faire des études, se former et in fine, notre objectif est de trouver un travail pour gagner de l’argent et répondre ainsi à nos besoins plus ou moins élémentaires.
L’argent, c’est le nerf de la guerre depuis des millénaires.
Alors, quand une technologie comme la blockchain offre des perspectives, et philosophiques différentes de la monnaie « traditionnelle », évidemment ça bouleverse toute une société !
D’autant qu’à notre époque, le processus/la guerre de la viralisation accélère considérablement les nouveaux usages et leurs adoptions (Cf Uber, Booking ou encore Airbnb).
Je compare souvent l’invention de l’imprimerie avec Gutenberg, qui au démarrage ne publiait que la Bible. Puis, vint le temps des publications des ouvrages qui ont véhiculé de nouvelles pensées et philosophies : la période des Lumières.
La situation est équivalente aujourd’hui avec le Bitcoin, le nouvel or digital qui vient « disrupter » la monnaie traditionnelle telle qu’on la connaît depuis l’Ordre des Templiers. Mais bien malin celui qui pourrait prédire son adoption et son usage dans le futur.
Il y a un véritable foisonnement de possibilités.
Jusqu’à présent, l’ordre monétaire était 100% centralisé, aujourd’hui les perspectives de décentralisation s’ouvrent à nous. Et les cryptomonnaies ne sont qu’un premier vecteur de ce que pourrait être la société de demain.
Regardez ce qu’il se passe d’un point de vue géopolitique avec l’adoption des cryptomonnaies par la Russie, l’Iran, la Chine ou encore les Etats-Unis : ce n’est qu’un prétexte pour se confronter au niveau du pouvoir et de la richesse.
La monnaie est le cœur de la construction de l’ordre social et sociétal planétaire.
Que penses-tu du krach des cryptos ? Et de la récente faillite de FTX ?
C’était totalement attendu, et cela arrivera encore tant qu’un pan de l’écosystème crypto agira au-delà de la réglementation déjà connue et surtout de façon complètement spéculative.
Je rappelle que la crypto finance a laissé de nombreux effets de levier en tous genres se réaliser, participant ainsi à fragiliser une partie de la confiance en ces néo-monnaies. Le problème c’est que le jour où la mer se retire, les choses cassent.
FTX n’est que le miroir de ce qui se fait dans la finance traditionnelle sauf que la sanction a été immédiate.
Binance a peut être eu une approche différente mais je serai étonné qu’il n’y ait pas d’effets de leviers risqués qui se révèlent dans les années qui arrivent. Ce n’est pas principalement une gestion de bon père de famille. A suivre.
Que penses-tu de l’E-Euro ?
La problématique de départ est la suivante : dans le système financier, il faut créer quelque chose de nouveau (cf Luna, FTX). Mais aujourd’hui, au sein des cryptomonnaies, il y a peu de gestions sages et avisées.
L’E-Euro, c’est justement l’espoir d’une gestion sage et avisée mais qui ne peut être décorrélée d’un sujet de gouvernance.
Idem pour le bitcoin. Certes, c’est super mais attention qui gère les risques financiers ?
Prenons l’exemple de l’or. Aujourd’hui, il a davantage de propriétaires d’or en « papier » ou or en version numérique que de propriétaires qui détiennent de l’or « physique ». Imaginez le jour où tous les propriétaires veulent retirer leur or, il est très probable qu'il n'y ait plus d’or disponible.
On pourrait illustrer de la même manière la masse monétaire mondiale et le PIB : est-ce qu’on peut faire autrement ? Oui on pourrait être plus sages mais ces effets de leviers participent aussi à nourrir la croissance économique mondiale. Il faut que ces effets de leviers soient réalisés avec parcimonies.
Penses-tu qu’un jour les cryptos disparaîtront ?
Je ne pense pas non.
Le terreau technologique est extrêmement riche et plein de valeur.
Il y aura toujours des nouveaux investisseurs qui vont être séduits par l’espérance du gain. Et donc les valeurs des cryptomonnaies repartiront vers le haut.
C’est toute la magie et la perversion car je pense que l’utilité sociale au niveau des paiements internationaux fera qu’il y aura toujours une capitalisation qui se consolidera.
Le problème c’est que quand ça va mal on devrait acheter et quand ça va bien, on devrait vendre. Mais à cause de la propagation et la hype médiatique, les gens font l’inverse.
Il y a une plaisanterie qui circule sur le marché traditionnel financier qui dit notamment que le jour où ton dentiste te parle d’investir dans certaines actions, c’est justement le moment de les vendre !
Comment vois-tu la place des cryptos dans la vie des gens à échelle de 5 ans ?
Je le vois comme une extension d’un processus d’investissement, une alternative.
Il faut avoir une vision long terme sur ces sujets-là. Et surtout, ne pas placer tout son argent.
Sur les usages des cryptos, on a vu les NFT apparaître, et progressivement, qui seront utilisés de manière naturelle sur un certain nombre de plateformes et réseaux sociaux.
Tout ce processus de démocratisation va se prolonger avec des outils qui devront être plus simples d’usage.
L’écosystème est encore un peu trop guidé par la culture tech et doit vraiment s’orienter sur l’expérience utilisateur pour développer les usages.
Que penses-tu des critiques autour du Web 3 ?
Lesquelles ? Toutes les critiques partent d’une vérité.
L’écosystème crypto qui se pensait comme un chevalier blanc à l’égard du monde traditionnel financier, reçoit des critiques légitimes et pertinentes.
Il est vrai que la cryptosphère est élitiste car pas accessible au plus grand nombre. Comme il est également vrai que ce système est principalement capté par des personnes plutôt aisées. Ou encore que les cryptos sont un actif spéculatif de trading.
Ce qui est aussi vrai, c’est que toutes ces technologies peuvent avoir un rôle à jouer très important dans un rééquilibrage du système financier et économique qui dysfonctionne. Notamment au travers de sujets tel que l’E-Euro.
La vraie question c’est : qui anime l’âme de la gouvernance ?
Les choix politiques sont essentiels. Si De Gaulle ou Churchill étaient en vie, je suis absolument convaincu que les choix sur un E-Euro ne seraient pas les mêmes. Qu’on parlerait de finance au sens économique et non basé sur de l’alchimisme.
On va pouvoir redonner de la force et de la démocratie à la politique là où elle n’avait plus de pouvoir philosophique.
As-tu un message à faire passer ?
Gardez espoir et ayez confiance !
Notre objectif chez WagmiTrends c’est de démocratiser le Web 3 et de décrypter cette révolution numérique : penses-tu que cela soit possible auprès de tous ?
Techniquement oui sur du moyen terme. Il faut une volonté capitalistique, politique et d’usage.
Tout dépend aussi de quoi on parle avec le web 3 : s’agit-il d’un ledger, de data (…).
Aujourd’hui, on sait que 70% des serveurs sont basés sur Amazon Web Services. C’est une dérive de confier 70% de nos données (côtés particuliers, entreprises et institutions) à un acteur central.
Bien sûr, qu’il faut être attentifs à ce que ces dérives ne se déploient pas côté web 3.
Ce qui fera la différence, ce sera l’âme de la gouvernance.
On passe aux questions POP : quel est ton bouquin de chevet ?
T'choupi rentre à l'école.
Ton film culte ?
Au nom du père.
Ta série crush ?
X Files: aux frontières du réel.
Ta playlist ?
NB : En aucun cas Wagmi Trends ne donne de conseils d’investissements financiers. L’objectif est simple : que tu comprennes qui fait quoi, et les enjeux qui s’y rattachent. Point.